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Extrait du Livre de Laurent Berger

LIVRE DE LAURENT BERGER

Chapitre 4 : Avec ceux qui voient le monde tel qu’il est.

Le syndicalisme c’est avant tout une affaire de lucidité économique. Affronter la réalité, les difficultés d’une entreprise, c’est se poser la question de l’employabilité, de l’adaptation, du rebond. Les militants, ceux d’une CFDT décomplexée et « non congelée » dans la tête, se battent sur le terrain, sans complexes et sans a priori.

Jean-Luc – Carbone Savoie

Je suis allé soutenir Jean Luc Pozzalo pour les élections professionnelles à Carbone Savoie en janvier 2015. Il en avait besoin, la situation était très tendue avec une CGT très agressive. Trois fois en un an, il s’est fait coincer et frapper par des militants de la CGT. A leur goût, Jean Luc développait un peu trop la CFDT, dépassant les 40% dans une entreprise ou la CGT a toujours été ultra majoritaire. Je devais y aller et faire venir un peu de medias.

Carbone Savoie était une usine en difficulté au fin fond de la vallée de la Tarentaise. Son propriétaire, Rio Tinto, s’en fichait comme d’une guigne, à tel point qu’elle commençait à se délabrer un peu. Jean Luc, à l’inverse, est le genre de délégué qui vit pour son entreprise et est d’une lucidité totale sur ses forces et faiblesses. Un teigneux. Son père est mort suite à un accident à Carbone Savoie. Il a été écrasé par un chariot, il a mis des années à se reconstruire mais a succombé à une transfusion de sang contaminé. Du même âge que moi, Jean Luc a passé beaucoup de temps à entasser des formations et des diplômes et a une collection impressionnante de CAP et de brevets en tous genres : de la mécanique au secourisme, en passant par le secrétariat, la sérigraphie ou son diplôme de pompier.

Le 1er janvier 1990 il rentre dans l’usine où avait travaillé son père, pour une formation qualifiante. Il a déjà le diplôme en question, mais Carbone Savoie a des aides à écluser. Il est finalement embauché en septembre 1991. Il récupère une section d’une trentaine d’adhérents un peu en déshérence sans délégué syndical. Il remonte tout. C'est un garçon entier et ouvert. Ça a beaucoup joué. Il dit toujours aux militants ce qu’il va faire et fait ce qu’il a dit. Et pour que les choses soient claires, il a refusé des promotions. Comme celle que Rio Tinto lui a proposée juste avant la discussion du plan social. Son refus a accru la crédibilité du syndicat.

Carbone Savoie fait des cathodes. Des sortes d'électrodes. Pour Jean Luc, Carbone Savoie est, de loin, la meilleure entreprise au monde sur les cathodes. Elle tient 20% du marché mondial. Mais Rio Tinto s’en fiche. Rio Tinto est un groupe minier mondial qui se débarrasse de ses actifs dont il n’a pas une utilité immédiate. Les anciennes usines de Pechiney, dont il a hérité en rachetant Alcan, en font partie. Elles sont vendues une à une.

Jean Luc n’a rien d’ailleurs contre leur vente. Le syndicat milite même pour que l’entreprise soit vendue. C’est quand même un cas de figure assez rare... Jean Luc a toujours été persuadé que Carbone Savoie ne s’en sortirait jamais avec Rio Tinto.

La gestion de l’entreprise depuis que les anglo-canadiens sont là l’énerve profondément : un cadre pour trois ouvriers et des frais de structure qui atteignent le tiers du chiffre d’affaires, c’est effectivement excessif. En plus, les  cadres  ne travaillent pas comme ils le devraient et, bon an mal an, le bureau d’études dépense 500 000 € avec des ingénieurs extérieurs.

Des repreneurs, Jean Luc en a vu, en a contacté, il est constamment sur la brêche. Il a réfléchi à de nouveaux processus de production, aux jobs où les cadres en surnombre pourraient enfin prouver leur utilité, à l’impact de l’entreprise sur l’environnement et il mobilise tout le monde autour de l’entreprise, sans distinction politique ou syndicale. Il est davantage attaché à son entreprise que la direction et le propriétaire. Et quand on a comme lui une vision stratégique, c’est plus facile pour le secrétaire général que je suis de prendre son téléphone et de lui obtenir le rendez-vous dont il a besoin à Bercy. Chez Carbone Savoie il y a une trentaine de personnes avec une conscience aigüe du boulot qu'ils ont à faire syndicalement. On doit s’appuyer sur ces gens-là, ils sont des interlocuteurs parfaits pour les repreneurs comme pour Bercy. On ne peut pas vouloir être ministre de l'économie en ne faisant que de la macro économie.

Jean Luc est une tornade à lui tout seul. Il a mis quatre ans à essayer de comprendre le marché mondial de l’aluminium pour essayer de suivre la stratégie de Rio Tinto. Il le connait sur le bout du doigt, et tient tête à n’importe quel analyste sérieux. Il a passé des années à chercher des appuis.

Lorsqu’Hervé Gaymard, député et président du conseil départemental, le voit débarquer, il lui demande s’il est le fils de Jules Pozzalo. Jules Pozzalo a aussi été chef du corps des pompiers et près de trente ans avant, il avait passé à Hervé Gaymard et à Michel Barnier, une soufflante mémorable pour avoir réduit les dotations.

Jean Luc est bien le fils de Jules et il quand il fonce, il impressionne.

Quand il démonte la stratégie de Rio Tinto devant les membres du cabinet d’Emmanuel Macron, il impressionne aussi.

Quand il est capable de pousser, du fin fond de la Tarentaise, un dossier de reprise de Carbone Savoie avec un industriel sérieux, un investisseur français et d’entrainer la BPI, il impressionne.

La droite locale le soutient, la gauche est timide. Il faut dire que Jean Luc s’est, comme il dit, «un peu secoué» avec un élu de gauche qu’il jugeait un peu mou. Ou avec un autre, le maire de son village, qui faisait son jardin pendant que lui tenait une conférence de presse pour alerter les médias. Jean Luc croit à son entreprise, et il a appris l’économie. Il y a un an, il frappait à toutes les portes pour avoir de l’aide. Aujourd’hui, on l’appelle pour travailler avec lui..

Jean Luc se bat pour imposer un plan de reprise.

Quand on n’a pas cette vision économique, quand on est trop traditionnel dans la lutte syndicale on se contente de négocier les plans de départ et un jour où l’autre l’usine ferme.

Dans le fond de la vallée de la Tarentaise, ces militants pratiquent un syndicalisme qu'on préconise.

Date de dernière mise à jour : jeudi, 29 juin 2023

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