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Histoire des industries de la houille blanche en Tarentaise

Le temps des pionniers (1893-1920)

La même année 1893 a été  marquée en basse Tarentaise par l’arrivée de la voie ferrée à Moûtiers et par la fondation de la première usine tirant son énergie de la houille blanche. Ce synchronisme n’est pas pure coïncidence : la localisation de telles industries lourdes, loin de leurs approvisionnements et de leurs clientèle, imposait à cette époque, et imposera longtemps encore, cette desserte ferroviaire. Les conditions naturelles ont cependant posé certaines limites. D’une part, la voie ferrée, qui avait atteint Moûtiers 17 ans après  Albertville ne devait être prolongée que 17 ans plus tard (1910) jusqu’à Bourg-Saint-Maurice. La révolution de la houille blanche est donc restée  cantonnée à la basse Tarentaise. Si seule l’usine du Villard-du-Planay a pris le risque de s’installer loin du réseau ferroviaire, c’est qu’elle disposait sur place des matières premières nécessaires à son fonctionnement et pouvait patienter jusqu’au jour du raccordement souhaité.  D’autre part, à cause de la faible pente de l’Isère entre Moûtiers et Albertville, il n’a jamais été envisagé d’’équiper le cours même de la rivière d’une centrale hydroélectrique et les pionniers de la houille blanche ont dû se contenter des ressources limitées offertes par les torrents affluents dont la forte pente compenserait le faible débit. A tous égards, la Tarentaise ne pourra jamais prétendre à un développement industriel comparable à celui de la Maurienne.

Quatre établissements ont été créés en l’espace de huit ans dont deux en basse Tarentaise :  Arbine, sur la commune de La-Bâthie (1893), et Notre-Dame-de-Briançon (1897). Arbine, la plus ancienne, devra jusqu’à sa fermeture s’accommoder des conditions les plus précaires. Afin d’optimiser ses conditions de fonctionnement, elle a été implantée au sommet du cône de déjection du Bénétan, modeste torrent descendu des pentes du Beaufortain avec un double inconvénient : une desserte ferroviaire imparfaite, une extension limitée par le développement de l’urbanisation à sa base. Les locataires autrichiens l’avaient spécialisée dans la production des abrasifs et ce devait rester sa vocation après séquestre en 1914 et entrée dans le groupe Ugine après la Grande-Guerre. Elle n’en employait pas moins 200 personnes en 1939. En revanche, on ne saurait sous-estimer l’importance de Notre-Dame-de-Briançon. Les conditions étaient ici optimales : la desserte ferroviaire se faisait de plain-pied et le torrent de l’Eau Rousse se prêtait à la construction d’une centrale hydroélectrique fonctionnant sous haute chute (250 m). Lorsqu’elle s’avéra insuffisante, il fut assez facile de renforcer son potentiel par la centrale de La Rageat sur le doron des Bellevilles à 13 km. La construction d’un pont sur  l’Isère ne posait pas de problème et les bâtiments pourraient s’étaler sur ses deux rives. L’usine fut fondée en 1897 pour le carbure de calcium par Moissan, l’inventeur même du procédé de fabrication et par Bullier son plus proche collaborateur. Ce produit était alors la base incontournable de la carbochimie et sa production, toujours à la pointe de la technique, ne devait être arrêtée qu’en 1962 du fait de la concurrence de la pétrochimie. Dès 1899, l’usine ouvrit un atelier de produits carbonés, dans un souci d’autonomie car les fours de carbure étaient équipés d’électrodes de carbone. Ce département devait s’assurer par la suite une vaste clientèle et, du fait de son importance, être érigé en filiale en 1920 sous le nom de SES (Société des Electrodes de la Savoie).

Deux usines ont été implantées à l’amont de Moûtiers. Le choix du site du  Villard-du-Planay, à 17 km  de la gare de Moûtiers et perché à 900 mètres d’altitude n’a pas paru hasardeux aux fondateurs de la Compagnie de Bozel en 1898. L’établissement disposerait de l’énergie  des dorons confluents de Pralognan et de Champagny équipés chacun d’une centrale,  sous une haute chute. L’atelier de carbure de calcium trouverait quasiment sur place le calcaire et l’anthracite nécessaire ; celui de  ferro-silicium,  les carrières de quartzite, seules les ferrailles devant être acheminées depuis Moûtiers par de longues théories de chevaux. A sa fondation, l’usine de Pomblière ne bénéficiait pas davantage d’une desserte ferroviaire mais la gare de Moûtiers, terminus de la ligne,  n’était qu’à trois km et la route nationale 90  au profil plat pouvait satisfaire aux besoins. Or, il était très tentant d’installer une centrale hydroélectrique directement sur l’Isère au bas de la première grande rupture de pente en remontant  son cours pour y construire une centrale  sous une chute de 67 mètres et avec un débit substantiel de 21 m3/seconde. C’est le pari que fit l’ingénieur lyonnais Gerorges Coutagne : sa société La Volta mit en marche en 1901 une usine d’électrolyse du chlorure de sodium. C’est à partir du le chlore que l’affaire prospérer : parmi les composés  qu’on devait en tirer, on peut retenir le chlorate de chaux qui s’avéra pendant la Grande Guerre comme le meilleur désinfectant contre l’ypérite. A l’époque (1916) a Volta venait d’être absorbée par l’Electrochimie de Henri Gall. Mais à partir de 1920, la grande affaire devint la production du sodium.

Les consolidations (1920-1945)

Le cœur de la Tarentaise s’est enrichi de trois nouveaux établissements entre 1928 et 1938. Il s’est agi dans les trois cas de développer des industries déjà en place et par les mêmes sociétés. Tel a été la stratégie de Bozel-Malétra - nouvelle raison sociale de la Compagnie de Bozel depuis 1925. Il n’était pas question d’agrandir l’usine du Villard-du-Planay pour satisfaire à la demande croissante de ferro-silicium, son enclavement rendant prohibitives les charges de transport pour des tonnages considérablement accrus. D’où le choix, en 1928, d’une implantation à Château-Feuillet, sur la commune de Petit-Cœur, en bordure de voie ferrée.  Elle tirerait son énergie de la centrale de Vignotan, nouvellement mise en service sur le doron de Bozel. 250 personnes y étaient employées en 1939. A Notre-Dame-de-Briançon, la Société des Electrodes de la Savoie voulait consolider sa présence sur le marché. Celle-ci était encore très modeste dans le haut de gamme, celui des électrodes graphitées. D’où la décision de développer ce département par association avec la société américaine détentrice du brevet Acheson : en 1932 naissait ainsi la C.I.S.A (Compagnie Industrielle Savoie-Acheson) dont les halls furent érigés en rive gauche de l’Isère, dans la continuité de ceux du carbure de calcium de l’Electrochimie. On prit ainsi l’habitude d’aller travailler « aux Américains », détenteurs de la majorité du capital. La création de l’usine de Moûtiers en 1938 est à l’initiative d’un voisin : les Aciéries d’Ugine. Cette entreprise était passée maître dans la fabrication de l’acier inoxydable, alliage de chrome et le nickel. Dépendante de Penarroya pour ce dernier, Ugnine voulait  réaliser son autonomie s’agissant du chrome. L’usine de Moûtiers prétendait à mieux encore. Non seulement y serait élaboré le ferro-chrome à partir du minerai brut mais encore, par intégration technique, des fours électriques produiraient l’acier chromé lu-même. Dans l’étroite cuvette de Moûtiers  l’usine a trouvé place contre la montagne mais dans un site très contraint étagé  sur cinq niveaux !

Au terme de cette évolution, au cœur de la Tarentaise, de Pomblière à Notre-Dame-de-Briançon, cinq établissements se pressaient en fond de vallée sur une distance d’une dizaine de kilomètres, fournissant de l’ouvrage à près de 2000 personnes. L’ancien milieu rural s’en trouvait profondément transformé.

L’âge d’or des Trente Glorieuses (1945-1975)

Les sept mêmes établissements tarins de la houille blanche mobilisent encore 2 800 personnes en 1974 lorsqu’éclate le premier choc pétrolier. La Savoie a gardé toutes ses chances sur l’échiquier national voire mondial dans une économie en pleine croissance malgré la perte de la rente énergétique due à la nationalisation des centrales par EDF et aux  surcoûts de transport liés à l’enclavement.

L’exemple de Notre-Dame-de-Briançon est exemplaire. Le volume de produits carbonés de la S.E.S  a été multiplié par 7,5 ente 1950 et 1975. L’entreprise a manifesté une remarquable capacité d’adaptation en se spécialisant dans deux créneaux   très porteurs. D’une part le département de produits carbonés a su se fidéliser la clientèle traditionnelle des sidérurgistes et  des producteurs l’aluminium en les accompagnant dans leur développement.  D’autre part, à l’imitation de l’Allemagne et des Etats-Unis, à partir de 1947, l’entreprise  s’est lancée dans la fabrication des blocs réfractaires carbonés dont sont faits creusets et étalages c’est-à-dire les parties inférieures des hauts-fourneaux :  la S.E.S est devenue, en 1954,  la S.E.R.S (Société des Electrodes et  Réfractaires de la Savoie) et ç’a été un grand sujet de fierté que d’avoir participé au lancement des complexes sidérurgiques de Sidmar, près de Gand, et de Dunkerque.  Alors est apparu le facteur limitant de cette croissance : malgré l’abandon du carbure de calcium c’est l’espace qui est venu à manquer, les ateliers s’alignant sur une étroite langue de 900 m en rive droite de l’Isère.  Car l’autre rive, ancien bastion du carbure de calcium, avait été libérée au profit de la C.I.S.A. Lors de la constitution du groupe P.U.K, en 1972, les participations de la S.E.R.S lui ont été vendues et l’entreprise était donc passé entièrement sous le contrôle de l’américaine Union Carbide. Profitant du  même marché porteur, cette société a poursuivi ses efforts d’investissements au point de se heurter aux mêmes limitations spatiales en rive gauche de l’Isère que sa voisine.

En ce qui concerne l’usine  de Château-Feuillet, entrée  en 1957après fusion dans le capital de Nobel-Bozel, les mêmes contraintes  qui avaient conduit à y développer la fabrication de ferro-silicium entre les deux guerres aux dépens de l’usine du Villard-du-Planay lui ont valu d’hériter de son  département de silico-calcium. Pour une juste appréciation de la réalité, il importe de savoir que cet établissement  est en contiguïté immédiate de l’usine de la Sers et que, comme elle, s’est alors posé le problème du développement spatial afin de préserver sa part d’un marché toujours en croissance : la solution a  été trouvée par la création d’une nouvelle usine à Anglefort, sur les bords du Rhône, un peu en aval de la centrale de Génissiat.

Les trois usines de Notre-Dame-de-Briançon et de Château-Feuillet mobilisent en 1 974 près de 1500 personnes, soit 53 % des emplois liés aux industries de la houille blanche dans l’ensemble de la Tarentaise.  Ce chiffre est très disproportionné par rapport au peuplement du fond de la vallée dont le centre urbain de Moûtiers compte moins de 4 200 habitants. Pour le recrutement de la main-d’œuvre, vers 1970, l’immigration italienne et surtout nord-africaine  ne représente qu’une petite minorité sauf à Château-Feuillet où elle atteint 45 %. Beaucoup plus impressionnante est la mobilisation de la population locale avec la généralisation du genre de vie ouvrier-paysan. Face au déclin de l’économie agricole, le travail en usine séduit par la sécurité d’emploi. La législation, en limitant la durée hebdomadaire du travail, a rendu possible la double activité pour les travailleurs postés selon le rythme des trois huit. Le problème du transport a été résolu par la multiplication des services d’autocars. Tout le cœur de la Tarentaise est ainsi mis à contribution : on descend des hauts villages du bassin d’Aigueblanche mais aussi du Berceau tarin, des vallées des Belleville et du doron de Bozel.

Le même optimisme n’est cependant plus de mise s’agissant des autres établissements tarins. Soit le cas de Pomblière. Dès avant 1939 au sodium s’était ajouté une deuxième activité : la production du cobalt y avait été développée logiquement par intégration technique car son obtention à partir du  minerais de smaltine passe par une phase de chloruration. L’usine marchait donc sur deux jambes, le sodium à peine plus important que le cobalt, et était seule à en produire en France. Les difficultés venues de contraintes de l’enclavement et de la concurrence étrangère étaient compensées par la qualité de la production. Elles sont apparues pour des raisons spécifiques. S’agissant du sodium, son principal débouché était dans la fabrication du plomb tétra-éthyle utilisé comme antidétonant des carburants. A cette époque commence la lutte pour l’essence sans plomb et les premières mesures pour abaisser le taux ont entraîné un recul de la fabrication ; par ailleurs, les livraisons aux centrales nucléaires pilotes à surgénération venaient de prendre fin et l’orientation vers superphénix n’était pas encore engagée. Quant au cobalt, devant lequel s’ouvrait  un avenir radieux dans l’industrie des fusées et des réacteurs, le problème est venu des difficultés d’approvisionnement car les mines marocaines de smaltine menaçaient de fermeture par épuisement de leurs réserves,  les autres provenances étant des chasses gardées. C’est pourquoi les 605 employés de janvier 1966n’étaient plus que 442 en septembre  1974.

Le cas de Moûtiers inspirait de plus graves inquiétudes. Paradoxalement car jamais les perspectives n’avaient été aussi prometteuses. Au début des années 1970, la production française d’acier inoxydable avait été multipliée par 20 en 24 ans. Pour faire face à la demande, la SECEMAEU avait construit à L’Ardoise (Gard), sur les bords du Rhône, dans les années 1960, une réplique de l’usine savoyarde dont la production, à la veille de nouveaux investissements, était quatre fois supérieure et idéalement placée pour faire face à la concurrence. C’est au point qu’on pouvait s’interroger sur l’utilité de Moûtiers. Son avenir semblait devoir être dans la satisfaction de commandes « sur mesure » pour des qualités d’aciers spécifiques et portant sur des quantités limitées. Mais il y avait plus grave encore. Grâce à de nouvelles techniques, l’élaboration complexe du ferro-chrome avait été fortement simplifiée et il était facile d’imaginer que les pays producteurs de chromite trouveraient avantage à valoriser leur minerai en intégrant da fabrication. A l’Ardoise même, deux des trois unités de ferro avaient cessé de fonctionner. A Moûtiers, l’obsolescence condamnait à la fermeture à brève échéance.

En 1974, les cinq usines de la houille blanche échelonnées en fond de vallée de Pomblière à Notre-Dame-de-Briançon sur une dizaine de kilomètres concentraient 2400 de leurs 2 800 emplois.  Ce chiffre est à comparer aux 3 400 habitants du centre urbain de  Moûtiers. Pour Le recrutement d’un tel personnel, il ne fallait plus compter sur la main-d’œuvre immigrée italienne et surtout nord-africaine qui ne représentait plus, sauf à Château-Feuillet (43 %)  qu’un faible pourcentage. Il avait été nécessaire de faire appel à la population des villages de montagne qui pouvait compenser par les salaires en  usine  le fort déclin des revenus agricoles. Le rythme de travail des trois huit se prêtait à la double activité. Les services d’autocars assuraient le transport en toutes saisons. Le recrutement de la main-d’œuvre s’est élargi au bassin d’Aigueblanche,  au Berceau tarin ainsi qu’aux vallées des Belleville, des Allues et du doron de Bozel

Date de dernière mise à jour : mercredi, 25 janvier 2023

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